Chapitre #06 - 2024
Vulgarisation
Pour une meilleure expérience, nous vous invitons à profiter de ce chapitre avec un ordinateur.
La moitié de l’année est passée pour la première version de la Revue Hypertexte. Un semestre est passé et nous nous posons beaucoup de questions quant à l’évolution de ce média dont le projet est de proposer des contenus numériques et papier. Faut-il en changer le business modele ?
Très concrètement, nous n’avons que deux personnes non francophones qui sont abonnées. Cela mérite-t-il d’aller séduire un meilleure audience internationale, ou bien faut-il se concentrer sur notre savoir premier et valoriser la francophonie ? Instinctivement, j’aurais tendance à choisir cette seconde option. Pour le moment, rien n’est joué encore mais en fonction des résultats à venir, il est possible que nous abandonnions l’idée d’un projet en anglais, sauf si la demande se fait fortement entendre. Je suis dans tous les cas curieuse de connaitre vos avis. Envoyez-les moi à hello@euphonie.studio.
Syphaïwong Bay.
Pour ce chapitre de la Revue Hypertexte, nous avons choisi le thème de la vulgarisation. En ligne, la question de la vulgarisation entre en jeux dès qu’il s’agit de créer du contenu. Même si nous consultons des articles ou des dossiers pour un public universitaire, la conception de ces contenus implique une forte dose de pédagogique et de méthodologie pour amener le lectorat vers une conclusion qui soit compréhensible. Les questions de rendre les information audible, lisible et compréhensible sont très importantes. Parmi les plus grands risques de la vulgarisation figure la désinformation. Il est bien facile, en simplifiant les choses, d’aller vers la diffusion d’informations fausses. C’est pourquoi nous avons inviter Bénédicte Didier pour nous parler d’éloquence et de présentation d’un discours complexe, ainsi que Dr Anne Malouli-Dohr et Guillaume Pardies qui sont respectivement médecin et kinésithérapeute. Leurs points de vue sur les contenus dans le domaine de la santé et surtout adressés au grand public nous apportent des éléments clefs pour penser la qualité du Web.
Bénédice Didier
Formatrice en prise de parole et rhétorique chez Panache.
Prise de parole pour des sujets complexes
37 500 heures.
Ce n’est pas le nombre d’heures de voyage pour aller jusqu’à une planète de notre système solaire. Ce n’est pas non plus le nombre d’heures que l’on doit dédier à pratiquer un instrument de musique pour espérer devenir un prodige.
C’est le total cumulé des heures de contenu proposé dans les conférences TEDx. En 2024, les conférences TEDx continuent de s’étendre et de cumuler un nombre impressionnant de vidéos disponibles en ligne. Il existe plus de 35 000 événements TEDx organisés à travers le monde, totalisant environ 150 000 conférences. Ces vidéos ont été visionnées plus de 4 milliards de fois sur Youtube et les sites TEDx. Depuis leur création en 1984 et leur déploiement dans le monde en 2009, les conférences TEDx ont su créer un nouveau standard.
Qu’est-ce que cela raconte de nous ?
Premièrement, que nous avons une appétence à l’événementialisation des contenus et leur mise en scène.
Deuxièmement, que l’humain aime se nourrir de nouvelles idées et découvrir de nouvelles approches et perspectives.
Troisièmement, qu’il faut que ce soit simple, facile et rapide.
Pour rappel, la durée d’une conférence TEDx, c’est entre 10 et 18 minutes. Le temps que l’on prend pour manger son petit-déjeuner.
Les conférences TEDx proposent une modalité unique de transmission : la parole.
On vient voir et surtout écouter. C’est le discours qui nous intéresse. D’ailleurs, la scénographie des TEDx met en avant celui qui parle (il y a peu ou pas d’éléments de décors et parfois, mais pas toujours, des images projetées sur un écran).
Et nous voilà arrivés à notre thème : la prise de parole en public pour des sujets complexes.
Cette compétence primordiale n’est pas enseignée à l’école. Elle commence tout juste à l’être dans les écoles d’enseignements supérieures avec des cours du nom d’ « Arts oratoires » ou encore d’« Art du débat, de l’éloquence et de la rhétorique ». Quand je dis cours, je parle d’une vingtaine d’heures maximum dédiées à la découverte du sujet, son appropriation et surtout, sa pratique. À peu près pas grand chose, surtout pour celles et ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de s’entraîner dans des contextes familiaux et scolaires favorables.
Si vous tapez « coach en prise de parole » sur Linkedin, vous découvrez pas moins d’1 600 000 résultats de recherche. Lame de fond ou effet d’aubaine, l’avenir nous le dira. Mais pour l’instant, cela démontre qu’il y a une offre très large. Cela va du comédien, au chanteur lyrique en passant par le communicant ou l’ancien avocat.
Et pour ce qui est de la demande, je vous invite à vous remémorer la dernière réunion ou conférence corporate à laquelle vous avez assisté : il y a fort à parier qu’elle vous a fait ressentir une palette variées d’émotions allant du malaise à l’ennui profond.
Nous avons besoin de muscler cette compétence. Lorsqu’il s’agit de sujets complexes, elle devient encore plus précieuse, mais également plus difficile à maîtriser. Expliquer des concepts sophistiqués de manière claire et compréhensible tout en captant l’attention du public exige une combinaison de préparation minutieuse, de compréhension approfondie du sujet, et d’adaptation à l’audience.
De mon point de vue, je pense qu’il faut changer l’imaginaire qu’on se fait de la prise de parole en public. Parler en public c’est s’adresser à des gens avec toute la considération qu’ils méritent. Et pour y arriver, il n’y a pas de secrets, c’est du travail. Je dirais même plus, c’est du labeur (au sens d’un processus continu ou progressif, de transformation, de maturation). La parole n’a rien d’une évidence. Elle se construit et s’éprouve en permanence. Le dire comme ça n’est pas sexy, j’en conviens. Mais ne pas le dire serait malhonnête. On ne peut donc pas faire l’économie d’une bonne préparation.
Comment fait-on alors ? Quels outils ou méthodologies s’offrent à nous pour nous permettre de nous améliorer et surtout, de faire en sorte que les gens à qui on s’adresse nous comprennent ?
Maîtriser son sujet semble anecdotique à rappeler mais néanmoins nécessaire. Et le maîtriser ne veut pas obligatoirement dire savoir le transmettre (rappelez-vous les cours à la fac où vous aviez un professeur brillant mais pas du tout compréhensible). Une bonne technique est de recourir à la création d’une carte mentale ou d’une carte conceptuelle. Cela permet de visualiser les relations entre les différentes parties du sujet et leur hiérarchie. Vous pouvez y ajouter des éléments comme des données chiffrées, des exemples et des verbatims.
Une fois cette première étape achevée, vous allez vous concentrer sur le contexte de votre intervention et sur les personnes à qui vous allez vous adresser. Voici une liste non exhaustive de questions à vous poser :
Qui compose mon auditoire (collègues, concurrents, prospects, clients…)
Quelles sont leurs attentes ? (sensibilisation, approfondissement du sujet, call to action clair…)
Que connaissent-ils du sujet dont je vais parler ? (experts, curieux, novices…)
Dans quel contexte vais-je m’exprimer ? (meeting, conférence, événement corporate, salon, visio)
Quels sont les moyens techniques mis à ma disposition ? (scène avec écran et micro, salle avec vidéoprojecteur, réfectoire transformé en salle de conférence…)
À quel moment ma prise de parole aura lieu ? (début ou fin d’un séminaire, lancement d’une nouvelle stratégie, dernier à parler ou premier à s’exprimer…)
Votre audience va être hétérogène, même si celles et ceux qui vous écoutent ont en commun de travailler pour la même entreprise. Certains ne vous accordent du crédit que si vous présentez des arguments et des exemples solides et sourcés alors que d’autres seront sensibles à l’émotion qui transparaît dans vos mots. On vous trouvera diplomate si vous usez de mots mesurés tandis que d’autres vous trouveront pas assez impliqué dans vos propos.
Vous allez devoir faire l’effort de chercher à les comprendre et de vous intéresser à leur état d’esprit. Bref, d’envisager les choses de leur point de vue. Et non plus du vôtre. Voilà une nouvelle difficulté pour vous. Réussir à sortir de vous et de ce que vous aimez faire pour vous mettre au service de l’autre et de sa compréhension.
Maintenant que vous avez réussi à vous décentrer, il existe une discipline qui va vous guider dans l’agencement de votre prise de parole : la rhétorique.
Peut-être qu’à la lecture de ce mot, votre imaginaire vous emmène en Grèce Antique, à la rencontre d’Aristote. Et il a raison. La rhétorique est avant tout une manière de penser, une chorégraphie mentale. Elle va bien plus loin que seulement l’art de bien parler et de persuader à laquelle on la réduit souvent.
Elle pose un cadre rassurant avec 5 étapes à suivre :
Inventio (invention) : rechercher vos idées et vos arguments pour éviter le manque de clarté.
Dispositio (disposition) : organiser et agencer vos idées pour éviter le manque de structure.
Elocutio (élocution) : travailler les mots, le style et la forme pour éviter d’ennuyer votre auditoire.
Memoria (mémoire) : maîtriser ce que vous allez dire, apprenez les étapes et les notions clés pour éviter le manque de préparation et l’improvisation (qui est rarement une bonne idée).
Actio (action) : délivrer votre discours avec intention et avec votre corps pour éviter le manque d’incarnation.
Nous pourrions rajouter une dernière étape qui serait la réponse aux questions et objections du public en faisant preuve de répartie.
À chacune des étapes précitées, vous allez devoir naviguer entre trois mode de persuasion qu’Aristote nomme dans son ouvrage « Rhétorique » : l’éthos, le pathos et le logos.
Éthos (éthique) : c’est votre crédibilité. La manière dont vous inspirez confiance à celles et ceux qui vous écoutent.
Pathos (émotion) : c’est votre capacité à toucher les émotions de votre public.
Logos (raison) : c’est faire appel à la logique et à la rationalité. Ici, les faits, les preuves et les chiffres sont vos meilleurs alliés.
Pour vous adresser de manière efficace à un public hétérogène avec des attentes diverses, vous allez devoir naviguer entre ces trois concepts. En les combinant, vous allez pouvoir maximiser l’impact de votre présentation. Vous allez donc avoir recours à des figures de style comme des analogies ou des métaphores pour faire passer vos messages. À déterminer un champ lexical riche et des adjectifs qualificatifs évocateurs pour engager votre public. À trouver des données fiables et des faits solides pour les convaincre.
Et parfois, le discours seul ne suffit pas. Vous allez devoir recourir à l’image.
Et ce, particulièrement si votre prise de parole intervient pour présenter un grand nombre de données. C’est là que le Data Storytelling entre en jeu. Avec la narration de données, vous racontez une histoire dont les protagonistes sont les données. C’est scénarisé et ludique. Et ça va plus loin qu’une simple infographie. Il vous faut trois ingrédients :
des données précises et pertinentes,
une mise en forme créative et accessible de ces dernières,
une bonne histoire à raconter pour les humaniser.
Le Data Storytelling s’appuie sur une autre discipline qu’est la Data Visualisation. Celle-ci permet la représentation d’un jeu de données de manière graphique afin d’en faciliter la compréhension et l’appropriation.
Pour vous en donner des exemples inspirants, je vous invite à regarder cette vidéo de la BBC qui met en scène trois protagonistes : le statisticien Hans Rosling, des événements historiques et le revenu par habitant depuis 1810 : une réussite !
Pour paraphraser Hans Rosling, avoir des données c’est bien, les présenter de manière amusante et facile à comprendre, c’est mieux.
Dans cette autre vidéo de la Harvard Business Review, Scott Berinato, auteur du livre Good Charts, explique de manière concise et efficace les principes directeurs du Data Storytelling. Son livre offre par ailleurs un guide complet pour créer des visualisations de données impactantes et persuasives. Il y propose des principes, techniques et des exemples pratiques (comme dans la vidéo).
Si la complexité de votre sujet ne repose pas sur des données mais plutôt sur des sujets de société et de transformation, je vous invite à regarder du côté de la méthode de présentation appelée « Pecha Kucha ». Vous aimez lorsque c’est structuré et dynamique ? Alors cette technique est pour vous. Inventée en 2003 par Astrid Klein et Mark Dytham, tous deux architectes, cette méthode cherche à rendre les présentations plus concises et engageantes. D’ailleurs, le terme « pecha kucha » signifie « chit-chat » ou bavardage en japonais, reflétant l’idée d’une discussion où les idées s’échangent de manière rapides et informelles.
Son principe repose sur un concept clé et un format spécifique : 20 slides / 20 secondes par slides pour une durée de présentation de 6 minutes et quarante secondes.
Ce type de format laisse du temps à votre auditoire pour poser des questions et approfondir des points.
Votre mot d’ordre, vous l’aurez compris avec le partage que je viens de vous faire est « facilitation ». Faciliter l’attention. Faciliter la compréhension. Faciliter l’appropriation.
Pour finir, je vous invite à vous nourrir d’un concept développé par Alain Berthoz, professeur au Collège de France dans son livre Simplexité. Ce terme désigne la capacité de rendre des phénomènes complexes compréhensibles de manière simple et sans perdre leur essence.
Alain Berthoz nous explique qu’il « faut distinguer simplexité et simplicité. Dans toutes les activités humaines, scientifiques ou sociales, nous sommes à la fois émerveillés et écrasés par la complexité. » Pour Berthoz, la simplexité, c’est une façon différente d’envisager des solutions possibles pour des problèmes, anciens ou nouveaux. Comment ?
En s’inspirant de l’étude des solutions imaginées par le vivant, on peut alors initier la mise au point de solutions technologiques innovantes comme le Velcro, le Shinkansen ou encore l’architecture bio-inspirée. Un nouveau champ des possibles s’offre alors à vous, ou la simplexité devient plus qu‘une posture, c’est un état d’esprit.
Bibliographie
La newsletter et les formations de Panache : https://www.avecpanache.co/
Livre L’Art d’avoir toujours réponse à tout de Corentin Eveno : https://www.editions-eyrolles.com/Livre/9782416015168/l-art-d-avoir-toujours-reponse-a-tout
Ces deux podcasts de France Culture : Ma parole : https://podcasts.apple.com/fr/podcast/ma-parole/id1742502160 et Oser prendre la parole : https://lnkd.in/e4htY9ra
Sur Linkedin, suivre Julien de Sousa et Lucas Haensler
Dr Anne Malouli-Dohr
Médecin / Fondatrice d'Haltemis, l'ESS qui prend soin de ceux qui prennent soin.
Ressources en ligne pour les aidants, aller chercher une audience parfois déconnectée.
Si vous essayez d’écrire un article sur les aidants en utilisant la dictée vocale de Word, vous mesurerez assez vite la méconnaissance du mot dans le langage courant. Voici un petit florilège de ses perles : « est dans », « les dents », « Eden », « Adam », « et Dante », « Zidane », « Dezy dans »… Le sujet ayant pourtant de l’importance, il mérite qu’on y consacre un temps d’explication.
De quoi parle-t-on ?
Même si on l’entend de plus en plus, le terme « aidant » est encore mal connu.
D’après le baromètre BVA-Fondation April de 2022, 47 % des personnes interrogées connaissent ce terme, soit un peu moins d’une sur deux. Néanmoins, cette connaissance progresse puisque seules 19 % des personnes interrogées en 2015 savaient de quoi il s’agissait. Cependant, même quand ils connaissent le terme, tous les aidants ne se reconnaissent pas comme tels.
Pourtant, le terme « aidant » est apparu dès 2005 dans deux textes de lois liés au handicap. On parlait alors d’ « aidant familial » et d’ « aidant naturel ». Puis, le législateur s’est rendu compte que les termes étaient assez réducteurs : l’aidant ne fait pas toujours partie de la famille et la situation n’est pas si « naturelle ». Dans la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV) de 2015, il a donc élargi le périmètre de l’entourage impliqué en introduisant la notion de « proche aidant ».
Un proche aidant, c'est une personne qui accompagne une ou plusieurs personnes fragilisées par l’âge, la maladie ou le handicap. D’après la loi ASV, « L’aidant(e) est la personne qui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne ». C’est donc une personne de l’entourage proche de la personne aidée, mais pas forcément quelqu’un de sa famille : ça peut être un voisin, un ami. Dans la grande majorité des cas, l’aide apportée est bénévole.
On peut par exemple devenir aidant quand on accompagne un enfant handicapé, un conjoint qui présente une maladie chronique ou un parent devenu dépendant. Sans doute vous dites-vous que vous avez déjà été aidant, que vous l’êtes ou que vous connaissez autour de vous un ou des aidants : logique !
D’après la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques, enquête « Vie quotidienne et santé », 1er volet du dispositif d’enquêtes « Autonomie » (2021 – 2024)), un adulte français sur six est un aidant. Mais l’aidance ne touche pas que les adultes : un mineur de 5 à 18 ans sur 20 est également aidant (d’un frère ou d’une sœur en situation de handicap, ou d’un parent malade par exemple). Dans les entreprises, 1 salarié sur 5 doit aujourd’hui concilier vie professionnelle et rôle d’aidant dans sa vie personnelle. Or, nous vivons une révolution démographique : dans les 50 prochaines années, le nombre de personnes de plus de 60 ans va être multiplié par deux, celui des plus de 80 ans par quatre. À l’horizon 2030, pour la première fois en France, les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans.
Cette augmentation de la population âgée aura une incidence sur le nombre d’aidants dans les années à venir. En effet, le nombre de personnes âgées dépendantes augmentera aussi. Pas question pour autant de vous imaginer que tous les vieux sont dépendants ! Aujourd’hui seuls 8 % des plus de 60 ans sont dépendants et 20 % des plus de 85 ans (Source : Personnes âgées / Chiffres clés, Ministère des Solidarités et de la Santé). Mais si ces proportions restent stables et que la population concernée augmente, logiquement le nombre de personnes dépendantes augmentera. D’ailleurs, d’ici à 2030, en raison du vieillissement de la population, la DREES estime que ce sera 1 actif sur 4 qui sera aidant. Nous sommes donc tous des aidants en puissance !
Si l’on examine le portrait type de l’aidant, on constate que les aidants sont majoritairement des aidantes (+/- 60 % de femmes vs 40 % d’hommes, suivant les études), en activité professionnelle. La génération pivot 45-64 ans* est la plus représentée. Dans cette tranche d’âge, 1 personne sur 4 est aidante.
*Pour rappel, cette tranche d’âge est appelée la génération pivot, car elle a une position intermédiaire entre ses ascendants et ses descendants. En effet, ces personnes aident un de leurs parents tout en ayant encore des enfants à charge.
Les tâches réalisées par les aidants sont multiples.
L’étude de la DREES montre d’ailleurs que ces tâches sont genrées : les femmes apportent plus souvent une aide régulière dans les activités de la vie quotidienne ou un soutien moral alors que les hommes apportent plus souvent une aide financière : CQFD !
Les enjeux sociétaux de la prise en compte des aidants sont multiples. Ils ont été énoncés dans un des plaidoyers du Collectif Je T’Aide (qui fédère des acteurs qui interviennent auprès des aidants et militent pour une meilleure reconnaissance de ceux-ci) :
Un enjeu de reconnaissance par eux-mêmes et par la société : pour que l’aidance ne soit plus considérée comme “naturelle” mais accompagnée par la société.
Un enjeu d’égalité femmes/hommes : pour que les femmes, qui représentent la majorité des aidants, n’en soient pas davantage précarisées et isolées.
Un enjeu de transition démographique : pour assurer l’accompagnement d’une population vieillissante.
Un enjeu de santé publique : pour qu’aider ne rime plus avec s’oublier et n'entraîne plus la dégradation de la santé des aidant(e)s
Des enjeux transversaux de lutte contre la précarisation (sociale et financière) des aidant(e)s dans un contexte de paupérisation de la population.
Un enjeu de maintien du lien social et de solidarité à travers l’ensemble de la société.
Un enjeu démocratique : Écouter les aidant(e)s et s’engager pour de véritables solutions, c’est s’assurer la confiance des citoyen(ne)s envers leurs institutions et administrations.
Une audience difficile à « toucher »
La population des aidants n’est pas une population facile à « toucher » et il y a plusieurs raisons à cela. Il y a tout d’abord, on l’a vu, la méconnaissance du terme « aidant ». Mais cette situation n’a rien d’insurmontable : plus on parlera du sujet, plus le terme « aidant » rentrera dans le langage courant.
Le deuxième point bloquant vient du fait qu’un bon nombre d’aidants ne se reconnait pas comme tels. On entend souvent : « Non, mais moi, je ne suis pas vraiment aidant ; ce que je fais est normal, car c’est mon enfant / mon conjoint / mon père ». Outre le fait que la normalité des familles soit discutable - le fonctionnement de chaque famille étant inhérent à l’histoire de vie de ses membres - le raisonnement est un peu court. Devenir aidant n’est pas une expérience de vie normale, même si elle peut tous nous toucher un jour. C’est une expérience singulière, imprévisible, qui bouleverse le mode de fonctionnement des individus et qui est exigeante, tant sur le plan physique que sur le plan psychologique.
Une autre représentation erronée empêche aussi parfois les aidants de s’auto-identifier. Le fait qu’ils imaginent une gradation du rôle d’aidant : « Non, mais moi, je ne suis pas vraiment aidant, car mon proche n’a qu’un petit handicap ». À titre d’exemple, pensez à ces mères qui passent à temps partiel pour emmener leur enfant qui présente un trouble Dys- chez l’orthophoniste / l’ergothérapeute / la psychomotricienne… Quand vous les interrogez, elles se sentent rarement aidantes. Or, il n’existe pas d’échelle de gradation du niveau de l’aide (petit, moyen, grand aidant). À partir du moment où l’aide apportée est régulière et modifie l’organisation du quotidien d’une personne, celle-ci est aidante.
Le troisième point bloquant pour toucher les aidants est leur manque de temps. Comment consommer du contenu informatif, quand on doit gérer à la fois trois, voire quatre agendas : son agenda personnel, son agenda professionnel, l’agenda de son proche et - pour peu qu’on fasse partie de la génération pivot – l’agenda de son ou ses enfant(s). La solution pour contrer cette difficulté réside sûrement dans le choix du format de contenus à proposer aux aidants : il faut penser pratique ! Des podcasts que l’on peut écouter pendant un trajet, ou en faisant la vaisselle, des posts courts, faciles à consommer quand on a quelques minutes pour scroller sur les réseaux sociaux…
Un dernier point bloquant pour toucher certains aidants est la fracture numérique. On peut, bien sûr, imaginer les atteindre via l’utilisation de médias plus traditionnels (presse, imprimée, radio, télévision). On peut aussi essayer de les approcher de manière indirecte, en ciblant des « passeurs d’information » : les digital natives. Il est bien rare par exemple qu’un aidant âgé qui accompagne au quotidien son ou sa conjoint(e) et qui ne serait pas familier avec l’usage du numérique, n’ait personne dans son entourage qui le soit. Cela peut être un enfant, ou bien encore un petit enfant. Ce ne sont pas les aidants principaux, mais ils peuvent néanmoins avoir un rôle aidant, en transmettant l’information à l’aidant principal ou en l’accompagnant dans l’utilisation du numérique. Dans ce cas particulier, ils deviennent donc la cible intermédiaire à atteindre.
L’intérêt du numérique pour communiquer autour des enjeux de prévention :
L’un des grands risques lorsqu’on devient aidant, c’est l’épuisement : celui-ci peut se manifester médicalement par un burnout de l’aidant ou par la décompensation d’une pathologie. C’est un véritable enjeu de santé publique, les aidants pouvant être considérés comme une population à risque sur le plan de leur santé. De plus, un aidant épuisé ne peut plus aider personne. Or, il ne faut pas le nier, les aidants rendent un grand service à la société en assurant auprès de leur proche une aide qui en leur absence doit être déléguée à des professionnels.
Il est possible de prévenir l’épuisement des aidants en leur facilitant l’accès aux solutions permettant de répondre à leurs besoins. Un aidant qui accède à l’information dont il a besoin acquière des compétences qui facilitent son quotidien. La prise en charge de la personne aidée s’en trouve aussi améliorée. La finalité est donc double : des aidants compétents, plus sereins, qui ne s’épuisent pas et des proches mieux accompagnés
Les outils numériques ont beaucoup d'atouts pour faciliter cette prévention. Tout d’abord, ils sont accessibles sur tout le territoire national. Cela permet de lutter contre les inégalités géographiques d’accès aux services. Ensuite, ils sont faciles à intégrer dans la logistique contrainte des aidants : consommation à la demande, de chez soi si besoin, éventuellement en faisant autre chose.
À quels besoins des aidants peuvent répondre les outils numériques ?
Le besoin d’acquérir des compétences. Devenir aidant, ça s’apprend. L’idée n’est pas de faire des aidants des professionnels de santé ou du médico-social, mais de leur donner suffisamment de connaissances pour qu’ils puissent accompagner leurs proches de la meilleure des façons. C’est, par exemple, leur donner de l’information validée sur la pathologie ou le handicap de la personne aidée. De toute façon, il ne faut pas se leurrer, dès l’annonce diagnostique, le réflexe de chacun est d’aller chercher des compléments d’informations sur le net. C’est aussi leur transmettre des clés de communication, pour communiquer avec un proche qui a par exemple des troubles cognitifs, un trouble du langage, un trouble sensoriel… Le saviez-vous ? Il existe aujourd’hui de nombreux sites informatifs thématiques et des formations en ligne pour les aidants.
Le besoin d’accéder facilement à des aides. Les outils numériques peuvent aussi permettre aux aidants de décrypter un écosystème : celui de la gérontologie, celui de la santé, celui du handicap… Devenir aidant implique de découvrir de nouveaux milieux avec leurs codes, leur langage. Chaque professionnel jargonne et oublie parfois que les non-initiés ne connaissent rien aux acronymes compliqués qu’il maîtrise. « Vous n’avez qu’à aller voir le CLIC, on pourra vos renseigner sur la demande d’APA ! » Limpide, non ? Le décryptage est donc nécessaire pour éviter que l’accès aux droits ne devienne un parcours du combattant sur une terre inhospitalière. Savoir trouver de l’aide a également un autre avantage : cela permet d’obtenir les moyens de constituer autour de soi une équipe pour mieux accompagner et d’anticiper pour éviter les situations de crise.
Faire de la prévention santé auprès des aidants. Un aidant épuisé ou qui tombe malade n’aide plus personne. De nombreuses études ont mis en évidence les répercussions possibles de la situation d’aide sur la santé des aidants : fatigue, anxiété, dépression, douleurs physiques… Ces répercussions s’expliquent à la fois par la charge physique et mentale, mais aussi par le report, voire le renoncement aux soins de la part des aidants. Ils sont souvent très à l’écoute des besoins de leur proche, mais beaucoup moins des leurs et ils ont tendance à faire passer leur santé au deuxième ou au troisième plan. Pourtant, il n’y a pas de mystère : pour prendre soin des autres, il faut déjà prendre soin de soi. Il n’est donc pas inutile de faire passer des messages de prévention santé auprès de cette population et de communiquer également sur les formes de répit existantes. Car oui, pour rester en bonne santé, il faut aussi se reposer : de la même façon qu’une voiture ne pourrait pas rouler indéfiniment sans refaire le plein d’énergie, le corps humain a besoin également de repos pour continuer à fonctionner.
Trouver du soutien. Le rôle d’aidant est émotionnellement éprouvant. Il peut donc être utile de trouver un espace pour « vider son sac » et déposer ses émotions. C’est parfois plus facile de le faire avec des personnes avec lesquelles on n’a aucun lien affectif, car elles sont plus objectives sur la situation. Plusieurs formats existent déjà : lignes d'écoute téléphoniques tenues par des professionnels ou des bénévoles (anciens aidants ou non) formés, visio consultations avec un psychothérapeute, échange en visio avec des pairs aidants, forum…
Les points de vigilance
Devenir aidant, c’est s’engager sur une route où il y a beaucoup d’obstacles. Le numérique peut jouer le rôle de « topoguide» de l’aidance. Pour remplir parfaitement ce rôle, il faut accorder une importance toute particulière à la véracité de l’information diffusée. Les aidants n’ont pas besoin que l’on rajoute de la complexité à leur complexité en leur donnant de la mauvaise information. La vérification doit donc être optimale.
S’il est possible de vérifier l’information que l’on diffuse, il n’est cependant pas possible de contrôler toute l’information à laquelle les aidants vont accéder sur internet. Néanmoins, on peut essayer de leur donner des outils pour apprendre à mieux reconnaître de l’information validée : qui est l’auteur du contenu, sur quel type de site se trouve le contenu, quels sont les liens d’intérêt, quelle est la date de publication de l’information, le contenu d’un forum est-il modéré et par qui ?...
En somme, il semblerait que les experts du digital (content managers, copywriters, créateurs de contenus numériques) qui maîtrisent la vérification d’information puissent, eux aussi, faire leur part pour aider les aidants.
Kinésithérapeute
L'impact des réseaux sociaux sur la perception et la qualité des contenus de santé : entre vulgarisation et charlatanisme
Les réseaux sociaux ont profondément transformé la manière dont l'information sur la santé est consommée. Que ce soit par le biais de contenus de vulgarisation créés par des professionnels ou par des amateurs, ou encore des témoignages de patients, ces plateformes offrent un large éventail d'informations à portée de clic. Cependant, cette accessibilité pose la question cruciale de la qualité et de la véracité de ces contenus, un défi aussi bien pour les professionnels de santé que pour les consommateurs.
Diversité des contenus et pièges de la popularité
Les contenus de santé en ligne se répartissent en plusieurs catégories : ceux destinés à la vulgarisation par des experts ou des amateurs, les contenus spécialisés pour les professionnels de santé, et enfin, les témoignages de patients. Cette diversité permet d'adresser un large public, mais elle comporte aussi des risques. Le succès d'un contenu n'est pas toujours proportionnel à sa qualité. En effet, les créateurs de contenu qui combinent des éléments de divertissement avec des informations médicales voient souvent leur popularité grimper, mais cela peut entraîner une perte de rigueur scientifique.
Guillaume Pardiès, un professionnel de santé (kinésithérapeute / physiothérapeute), souligne cette dérive en expliquant que les influenceurs santé, malgré leur bonne volonté, peuvent parfois adopter des méthodes similaires à celles des charlatans. Ils sont poussés par le besoin de capter l'attention et de répondre aux attentes de leur public, ce qui peut les amener à simplifier ou à exagérer des concepts pour les rendre plus attrayants.
Le défi de l'éducation et de la formation des professionnels de santé
Un autre point crucial soulevé par Guillaume est le manque de formation adéquate des professionnels de santé en matière de communication et de gestion de l'information. Avec l'émergence de l'Evidence Based Practice (EBP), les professionnels sont censés baser leurs pratiques sur des preuves scientifiques, tout en prenant en compte l'expérience clinique et les attentes des patients. Cependant, cette méthodologie exige une formation continue et une capacité à trier les informations fiables des pseudosciences, ce qui n'est pas toujours évident.
Les patients, de leur côté, peuvent se retrouver perdus face à la cacophonie d'informations disponibles en ligne. Il n'est pas rare qu'ils accordent plus de crédit à un influenceur charismatique qu'à leur propre médecin, surtout si ce dernier n'a pas le temps de les écouter ou de leur expliquer en détail leur traitement. Cela peut entraîner des situations complexes où les patients refusent des soins basés sur des preuves au profit de traitements moins fiables mais plus séduisants.
La responsabilité des professionnels de santé sur les réseaux sociaux
Pour Guillaume, il est essentiel que les professionnels de santé soient présents sur les réseaux sociaux pour offrir des contenus de qualité et contrer la désinformation. Cependant, ils doivent aussi être conscients des limites de cette démarche. Il ne s'agit pas seulement de fournir des informations correctes, mais aussi de savoir comment les présenter pour qu'elles soient compréhensibles et accessibles à tous, sans sacrifier la rigueur scientifique.
Les plateformes en ligne ne sont pas mauvaises en soi, mais elles nécessitent une approche critique et un engagement des professionnels pour éduquer le public et offrir des alternatives fiables aux contenus de moindre qualité. Les patients doivent également être encouragés à consulter des sources variées et à discuter de ce qu'ils trouvent en ligne avec leurs médecins.
Pour conclure
Le paysage numérique a enrichi l'accès à l'information médicale, mais il a aussi complexifié le rôle des professionnels de santé et la manière dont les patients perçoivent les traitements. Dans ce contexte, la formation continue, la communication et l'éducation sont des outils essentiels pour naviguer dans cet environnement où la popularité ne rime pas toujours avec fiabilité.
Le prochain chapitre de la Revue Hypertexte est consacrée à la vulgarisation. Nous y retrouverons :
Billie Geena Hyde, Accessibilité et SEO
Giulia Panozzo, Mesurer et améliorer l'expérience utilisateur